mardi 30 janvier 2024

Jouer par cœur : merci Nicolas ?

Un de mes (multiples) complexes de musicienne est de ne connaître quasiment aucun morceau par cœur

crédit: fr.heartfulness.org

Je n'ai de ce fait pas grand chose à jouer pour des amis ou une assemblée conviviale quelconque, d'autant que mes talents d'improvisation sont pour le moins limités (leur amélioration était l'un de mes objectifs de l'année dernière, et je suis au regret d'avouer qu'il me faudrait le reconduire cette année). Impossible pour moi de me rendre à la fête des voisins flûte en poche et les doigts dans le nez (ni d'ailleurs l'inverse) et de régaler un auditoire ébahi. C'est à la limite possible en apportant un pupitre et des partitions, mais le sympathique côté impromptu en prend un sacré coup (le côté pratique aussi).

Mais pourquoi dit-on apprendre par cœur et non par cerveau ? C'est un héritage de l'Antiquité où l'on considérait le cœur comme le siège de la conscience humaine, et donc de l'intelligence et de la mémoire en plus des émotions et du courage. Au Moyen-Âge, par cœur signifiait "par la pensée". L'expression en elle-même nous arriverait tout droit du XIIIe siècle, popularisée au passage par Rabelais dans une lettre de Gargantua à Pantagruel ("Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes, et que tu me les mettes en parallèle avec la philosophie.").


Mon cœur (cet incapable) a donc fait un bond de joie en constatant la parution de la dernière (qui date un peu maintenant mais cet article est resté en plan pendant plusieurs semaines mois) vidéo de Nicolas Rosenfeld sur sa chaîne Curiosités Musicales (que je vous recommande vivement)


Votre œil attentif n'aura pas sans doute pas manqué de noter la locution "aux examens". J'avoue pour ma part m'être ruée pleine d'espoir sur le visionnage sans prendre garde à cette légère restriction.

Mais que nous dit Nicolas dans cette vidéo ?

D'abord, qu'apprendre à jouer sans partition est utile et même très important. Je me fais donc recaler d'entrée. Ça sert entre autres pour apprendre l'improvisation (ahem), en ensemble pour pouvoir lever le nez de la partition pour mieux échanger avec ses camarades,...

Il ajoute que pour que cela soit possible et confortable, il faut d'abord instaurer un climat de confiance et de bienveillance pour que le musicien ne se sente ni menacé ni jugé : ce serait donc tout le contraire d'un examen.

Nicolas souhaite donc remettre en cause l'obligation de jouer par cœur en public dans un certain nombre d'examens et concours, et j'ajouterai pour ma part, sur certains instruments. 

Et quels sont donc ses arguments ?

- Jouer à un examen demande de contrôler tout un tas de choses en même temps comme les doigts, le souffle, les notes, les nuances, le rythme : travailler tout ça demande déjà énormément de temps ; faut-il vraiment y ajouter l'apprentissage par cœur qui représente finalement peu d'intérêt musical ?

- Le fait de jouer sur scène est en soi très stressant, on se sent vulnérable, on a peur de se planter devant tout le monde : pourquoi donc rajouter un facteur de risque en obligeant les élèves à jouer sans filet ? Surtout que ces conditions de stress peuvent générer d'horribles trous de mémoire même si on connaissait le morceau sur le bout des doigts (ahah) : on reste bloqué, on tourne en rond, on n'a rien pour se raccrocher et reprendre le cours de l'histoire, et au final l'examen n'aura servi à rien alors que les qualités musicales de l'examiné ne sont pas (forcément) en cause.

- Il suffit d'une seule mauvaise expérience comme celle décrite ci-dessus pour créer un traumatisme qui lui-même engendrera encore plus de stress et paf, le cercle vicieux.

- La mémoire peut faiblir avec l'âge, pouvant pousser de brillants interprètes à renoncer à se produire en public. Dommage, non ?

- Lorsqu'on a appris une oeuvre par cœur, elle est en quelque sorte figée et il devient difficile de changer son interprétation sous peine de tout faire s'écrouler : un changement de doigté et pouf ! c'en est fait de la mémoire digitale.

- Apprendre par cœur, ça s'apprend ! Comme pour le théâtre, il y a des techniques spécifiques, auxquelles les profs de musique ne sont pas formés, et qu'ils ne peuvent donc pas transmettre. On exigerait donc des élèves quelque chose sans leur donner la méthode pour y parvenir ?


Il s'agirait donc d'une pratique inutile et néfaste qui ne servirait au final qu'à une poignée de futurs virtuoses : se pourrait-il qu'elle soit imposée par les conservatoires dans une perspective élitiste, au détriment de la grande majorité des élèves ?


Et pour info, le fait de jouer par cœur n'est pas du tout ancestral, mais apparaît à l'époque romantique (milieu du XIXe) et c'est la faute à Clara Schumann et surtout à Franz Lizst (l'inventeur du récital), auquel on n'a pas du tout envie de se comparer. Et comme on joue de la musique ancienne, on n'est pas concerné.e.s.

Ce n'est qu'un résumé et je vous engage à aller visionner la vidéo de Nicolas, ainsi d'ailleurs que toutes celles de sa chaîne.



Vous pouvez lire l'article cité dans la vidéo sur le site de Radio-France ici.

lundi 29 janvier 2024

On est encore en janvier...

 ... et je ne suis donc pas encore en retard pour vous souhaiter une année 2024 musicalement éclatante, éblouissante, harmonique et collaborative, parce que jouer ensemble ça rend heureux :-)