jeudi 8 juin 2023

La musique transparente

Cet article fait suite à la situation délicate où je me suis trouvée en oubliant ma soprano pour aller à l'ensemble du samedi où j'étais censée jouer la voix du haut sur la Marche pour la Cérémonie des Turcs. J'ai donc fouillé dans le placard de la salle de flûte à bec et j'ai déniché cette petite merveille, que je rêvais d'essayer depuis fort longtemps :


Alors, euh... Je compatis vraiment avec les oreilles des professeurs et des familles des petits débutants pourvus de cet ustensile, mais je vois malgré tout au moins deux avantages à cette chose qui ne rend vraiment pas service au prestige que l'on tente désespérément de redonner à notre instrument, outre qu'elle sonne juste (ce qui est la moindre des choses qu'on puisse attendre d'une production Yamaha) : son prix modique (ce qui est la moindre des choses qu'on puisse attendre d'une flûte en plastique), et la possibilité d'observer le fonctionnement interne de l'instrument. Au bout de quelques minutes de jeu, on voit parfaitement la condensation se déposer le long des flancs de la bête. J'imagine qu'il arrive aussi qu'on puisse y observer des résidus de nourriture.



Partie sur ce concept de flûte transparente, je me suis demandée s'il avait existé par le passé des flûtes à bec en verre ou en cristal. Si c'est le cas, elles ont dû être cassées depuis longtemps car je n'en ai trouvé nulle trace, mais il existe quand même au Musée de la Musique à Paris une flûte traversière piccolo du XIXe en verre, argent, maillechort et nacre, ainsi qu'un corps de rechange de flûte traversière en cristal, argent et améthyste (la preuve en photo sur votre gauche).

Cela m'ayant laissée sur ma faim, j'ai continué à fouiner un peu et il se trouve qu'il existe un certain nombre d'instruments transparents, en verre ou en cristal.

Ma vraie découverte du jour est l'Armonica de verre [en anglais glass (h)armonica], ou comment un instrument transparent peut transmettre cette propriété à la musique si cristalline qui en émane, comme une expression insaisissable de sa fragilité... 


Benjamin Franklin et son Armonica


Vers le milieu du XVIIe siècle, il était courant que des musiciens amateurs jouent sur des "verres musicaux", comme on l'a tous fait enfants à la fin des repas (vous vous rappelez, ces interminables repas de famille où toute distraction était la bienvenue) en remplissant des verres à des hauteurs différentes pour obtenir plusieurs notes. Benjamin Franklin (celui du paratonnerre) assiste un jour à l'un de ces concerts : il est charmé par la douceur et la beauté du son. En bon inventeur (et musicien : il jouait du violon, du violoncelle, de la harpe et de la guitare), il a aussitôt l'idée d'appliquer le principe du "doigt mouillé" à sa propre création musicale. 


Franklin mit au point son premier Armonica en 1761. Il consistait en une série de bols de verre de tailles croissantes, séparés par du liège et assemblés sur une tige métallique, reliée à une roue actionnée par une pédale. La taille de chaque bol était adaptée à la note désirée sans qu'il y ait besoin de les remplir de liquide (beaucoup plus simple à transporter !). Le son était produit par le contact d'un doigt mouillé sur le rebord du bol. Afin d'identifier les notes, Franklin avait peint les bols correspondant aux touches blanches du piano avec les sept couleurs de l'arc-en-ciel, et en blanc les bols correspondant aux cinq touches noires. 

L'Armonica de Benjamin Franklin (1761)
(photo du Franklin Institute de Philadelphie)

Cet instrument connaît un succès immédiat. Il est utilisé par le célèbre hypnotiseur Mesmer qui l'utilise pour traiter ses patients. C'est chez lui que va le découvrir Mozart (vous voyez qui ou je détaille ?), qui lui dédiera en mai 1791 sa dernière œuvre de musique de chambre (Adagio et Rondo KV 617), à l'Armonica accompagné de la flûte, du hautbois, de l'alto et du violoncelle. 



D'autres célébrités ont composé pour l'Armonica de verre (Beethoven, C.P.E. Bach, Richard Strauss, Saint-Saëns...)

La Danse de la Fée Dragée de Casse-Noisettes (Tchaïkovski) : 



L'Armonica reste très populaire jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, où un décret de police l'interdit dans certaines villes d'Allemagne après la mort d'un enfant pendant un concert. Ses sons sont accusés de faire hurler les animaux ou de provoquer des accouchements prématurés. On dit que sa sonorité étrange et obsédante invoque les esprits des morts... Plusieurs interprètes sont devenus malades ou fous (peut-être atteints de saturnisme à cause du contact répété de leurs doigts avec le plomb contenu dans le verre)


L'Armonica de verre a ensuite progressivement disparu, mais il connaît un discret renouveau depuis les années 1980 grâce à un maître souffleur de verre américain, Gerhard Finkenbeiner. Il y a 5 ou 6 glassharmonicistes professionnels dans le monde, et l'instrument est mis à l'honneur dans un certain nombre d’œuvres contemporaines, dont des musiques de film.


The Last Transit of Venus de
William Zeitler :



Je vous sens conquis et ça tombe bien, j'ai une bonne nouvelle pour vous si vous êtes parisien ou pas trop loin de la capitale : la Philharmonie de Paris organise un cycle d'ateliers "Orchestre de verre" pour débutants en novembre-décembre de cette année pour la modique somme de 70€ les 5 séances :  "Harmonica de verre (coupes de cristal frottées), séraphin (jeu de verres frottés), cloches, verrophone (tubes de verre percutés) et cristallophone (vibraphone en cristal) constituent cet orchestre unique au monde. L’imaginaire des participants est sollicité afin de créer des pièces musicales, et leur dextérité en vue d’interpréter des pièces de répertoires variés".

vendredi 7 avril 2023

Le retour du masque ?

Mais non, c'est une blague. On ne va pas recommencer à jouer de la flûte avec des masques, cette année l'ennemi public c'est juste la grippe (A).

Il y a quand même bien des masques dans mon histoire, mais un masque de fée et un masque de chèvre. Oui oui, je vais m'expliquer.

Le masque est un divertissement mêlant la musique, la poésie, la danse et le théâtre, qui a pour origine les "mummings" des XIV-XVe siècles, qui consistaient en une procession de danseurs masqués.

Les masques vont se développer et devenir très populaires dans l'Angleterre élisabéthaine à la fin du XVIe siècle et les différents genres vont s'agencer en un tout cohérent avec une action dramatique précise.

Les parties musicales, au sein desquelles on peut distinguer les masques et les antimasques, sont en fait des danses. La structure des masques est plutôt régulière avec une alternance de phrases binaires et ternaires, alors que les antimasques usent et abusent de changements déconcertants de rythmes et de tempo. Tempi. Tempos. Enfin comme vous voudrez.

Je déduis de ce que je viens d'écrire que le Fairey Masque serait plutôt un antimasque et le Goates Masque, un masque. Ah ! J'ai omis de dire que je travaille en ce moment ces deux pièces et que je vais même en profiter pour les jouer ici :


(je suis sûre que vous découvrez avec stupeur l'existence du Festival de flûtes à bec international d'Arthies dont ce serait déjà la 8e édition ; il est possible que la communication autour de ce Festival soit en réalité assez restreinte, voire confidentielle)

Pour revenir à notre sujet, le masque est à cette époque essentiellement un spectacle de cour, et son équivalent français est d'ailleurs le ballet de cour. Ailleurs en Europe, on peut parler de bal masqué ou de mascarade.

Mais stop au blabla et place à la musique avec une petite sélection d'interprétations de ces deux piéce.tte.s (c'était mon tribut à l'écriture inclusive, mais nous ne faisons pas ici de politique).

Je vais d'abord tenter de faire plaisir à Sabrina (coucou maîtresse) avec les versions de Sébastien Marcq, très ornementées (et virtuoses) :


The Fairey Masque


The Goates Masque


J'ai trouvé plusieurs enregistrements du Fairey (dont un certain nombre de Sébastien Marcq et consorts), mais très peu du Goates (dont un certain nombre de Sébastien Marcq et consorts).

Commençons donc par le Fairey, avec d'abord ce que nous en fait la flûtistabecque australienne Tamara Gries, que je ne connaissais pas du tout, mais qui a entre autres étudié à Paris avant de retourner dans l'hémisphère sud. Interprétation assez peu ornementée (sauf vers la fin) :


Je ne vous mets rien d'autre pour la flûte à bec, mais sachez qu'il en existe des très moches.


Nous avons celle-ci au luth, assez dépouillée, parce que j'aime bien Sylvain Bergeron. Vous pourrez constater qu'indépendamment (ou non) du style d'interprétation, le changement d'instrument modifie complètement le caractère de la pièce :



Terminons avec le Goates par la perle du jour, en costume(s). Version lente, sans doute pour éviter d'avoir à emmener les danseurs aux urgences. J'y découvre incrédule que Goates en anglais ancien ne voudrait donc pas dire chèvre, mais âne ?

jeudi 30 mars 2023

CantoMundi

(tiens, c'est déjà le printemps)

Je déplorais ici en 2018 la disparition soudaine et inexpliquée des Journées de Musiques Anciennes de Vanves, et voici qu'apparaît un petit nouveau : CantoMundi, le salon des musiques anciennes et traditionnelles, qui se tiendra à Gennevilliers du 12 au 14 mai.

Il s'agit comme à Vanves d'un gros salon de professionnels, essentiellement des facteurs d'instruments mais il devrait y avoir aussi pas mal de concerts en tous genres de-ci de-là, ainsi que des débats et conférences, et même des master classes. Le programme des événements n'est pas détaillé pour le moment, j'espère que ce sera le cas un peu plus tard pour pouvoir choisir la journée la plus intéressante.

À suivre, donc.

dimanche 22 janvier 2023

Vœux et vrac

Non, je ne suis pas en retard, on a jusqu'au 31 d'abord.

Je vous souhaite donc une excellente année pleine de musique et surtout, SURTOUT, pleine de flûte à bec !!!

Ce sera vraisemblablement mon cas si j'en juge par ce début d'année bien rempli : un cours, deux orchestres, deux ensembles et un duo. Le problème n'est pas vraiment de caser toutes ces heures de conservatoire dans mon emploi du temps de personne qui travaille (et se tape des heures de transport), mais plutôt de trouver le temps de travailler toutes ces pages de partition dont certaines bien corsées. Mais je suis incapable de refuser une proposition de musique d'ensemble, c'est ça qui m'éclate et après le travail acharné pour la fin de cycle, j'ai envie d'une année un peu plus light niveau travail de fond. 

J'avais pour objectif d'axer cette année sur l'improvisation, l'ornementation et la basse. Les deux premiers items démarrent très doucement, et j'ai commencé à accompagner l'ensemble du samedi (niveaux très mélangés) à la basse, ce qui me permet de me familiariser avec ma flûte basse que j'ai peu utilisée jusqu'à présent et de réapprendre gentiment à lire la clé de fa.

Je ne prends toujours pas de bonnes (ni de mauvaises) résolutions en début d'année, je ne vous promets donc pas d'être plus assidue à la rédaction de ce blog, mais qui sait ?