samedi 23 juillet 2022

Autour de Purcell #4 : Purcell himself

Première, deuxième et troisième parties du stage de la Pentecôte (2019) : ici,  ici et ici


Après avoir tourné autour du pot de Purcell de façon fort divertissante pendant trois articles, nous voici enfin au cœur du sujet. Comme l'intitulé du stage pouvait le laisser supposer, il y occupait la première place (par œuvres interposées évidemment). Nous quittons ainsi la Renaissance pour arriver à la période baroque.

Je ne vous ferai pas l'affront de refaire une bio d'Henry que vous pourrez toujours relire ici


Nous avons commencé par le
Miserere Mei qui est un canon à quatre voix. Je n'en ai pas trouvé de version avec instrument (sauf de l'orgue mais avec beaucoup beaucoup d'orgue), en voici donc une exclusivement chantée :



La master piece du concert était un extrait du célébrissime King Arthur, qui est un "semi-opéra", c'est à dire moitié chanté et moitié parlé sur un livret de John Dryden, représenté pour la première fois en 1691 à Londres. L'intrigue est un joyeux mélange de légende arthurienne et de mythologie nordique.


L'extrait que nous avons joué était la passacaille How happy the lover, que vous pourrez écouter ci-dessous dans une version très épurée par Les Arts Florissants avec les élèves du département Historical Performance de la Juilliard School de New York. Vous pourrez repérer la flûte à bec de Sébastien Marcq à 1:01.


Et pour finir cette série d'articles, nous avions aussi au programme de notre petit ensemble une autre pièce archi-connue de Purcell : Strike the viol - extraite de l'Ode pour l'anniversaire de la reine Mary (Mary II Stuart) - dont j'ai le grand plaisir de vous faire écouter l'interprétation qu'en font Les Musiciens de Saint-Julien avec le ténor Tim Mead. François Lazarevitch est à la flûte à bec, secondé par Elsa Frank.

vendredi 22 juillet 2022

Autour de Purcell #3 : Dowland et des corbeaux

Première et deuxième parties du stage de la Pentecôte (2019) : ici et ici

src: last.fm
Durant ces trois après-midi de travail en ensemble, nous avons bien sûr travaillé quelques autres pièces, comme What if I never speede de John Dowland (je vous ai déjà parlé de lui dans cet article et je ne vais pas refaire sa bio). Cette pièce est extraite du Third and Last Book of Songs and Aires publié en 1603. Il s'agit d'une chanson d'amour somme toute assez banale où l'auteur espère être aimé en retour.

L'ayre est une interprétation vocale généralement accompagnée au luth, qui tire essentiellement ses origines de l'air de cour français. De la fin du XVIe siècle aux années 1620, les ayres sont très populaires en Angleterre suite à la publication du recueil First Booke of Songs or Ayres de John Dowland.

Voici deux versions vocales aux caractères vraiment différents. La seconde, plus pétillante, donne une meilleure idée de ce que ça peut donner à plusieurs instruments.





J'y ajouterai la petite perle du jour, avec le sympathique consort de flûtes à bec amateur (c'est du moins ce que je déduis de l'écoute - et du visionnage - de la vidéo) Ars Nova :




Avant de vous parler enfin de Monsieur Purcell (dans un quatrième article), il me reste encore une pièce à évoquer (ce serait dommage de ne pas le faire car c'est celle-là qui va vous empêcher de dormir cette nuit) : The Three Ravens (Les Trois Corbeaux)

src: lookandlearn.com
Il s'agit à la base d'une romance populaire anglaise comme on les aime, dont la première trace écrite remonte à 1611 et qui a donné naissance à des tas de versions.
 
Cette chanson raconte une histoire désopilante : trois corbeaux sont installés sur un arbre et se demandent ce qu'ils vont manger pour leur petit déj, quand l'un d'entre eux repère dans l'herbe verte un chevalier fraîchement occis. Malheureusement pour eux, des chiens, des faucons et une biche enceinte vont s'interposer et la biche va se charger d'enterrer le chevalier avant de décéder elle-même (mais ? peut-être n'était-ce pas réellement une biche ?). Je vous laisse chercher les paroles si ça vous dit, elles sont faciles à trouver.

Il existe une variante avec seulement deux corbeaux, où la biche est une vraie femme mais infidèle et le corps du chevalier n'est pas enterré mais proprement nettoyé par les emplumés.

La mélodie de 1611 apparaît donc dans un recueil de chansons du compositeur Thomas Ravenscroft (vous aussi vous avez remarqué, hein ?) intitulé Melismata. 

Thomas Ravenscroft (1582-1635) est un compositeur et théoricien anglais connu pour son recueil de psaumes Whole Booke of Psalmes ainsi qu’à ses anthologies de chansons populaires, destinées à un public de la classe moyenne plutôt qu’aux élites plus «éduquées». On sait peu de choses sur lui, sinon qu’il était maître de chapelle au Christ’s Hospital de Londres et qu’il a sans doute chanté dans le chœur de la Cathédrale Saint-Paul, où il a reçu sa formation musicale.

Deux versions très différentes, la deuxième avec de la... flûte à bec !



par l'ensemble Tarleton's Jig


Une petite dernière chantée par Andreas Scholl, dans un tout autre style mais magnifique (comme toujours) :

jeudi 21 juillet 2022

Autour de Purcell #2 : Thomas Morley et le madrigal

Première partie du stage de la Pentecôte (2019) : ici

Je disais donc que les après-midi étaient consacrés à la musique d'ensemble : cinq petits ensembles d'instruments variés, pour mémoire : flûte à bec, viole de gambe, harpe baroque, voix dans mon groupe, clavecin et traverso dans quelques autres.

Le titre du stage était "Autour de Purcell", mais je dirais plutôt "Purcell et ses prédécesseurs" puisque nous avons joué (et chanté) des pièces de Thomas Morley (1557-1602), John Dowland (1563-1626), et Henry Purcell donc (1659-1695).



Thomas Morley est né à Norwich (Angleterre) vers 1557. Fils d’un brasseur, il reçoit une première éducation musicale à la cathédrale de Norwich dont il devient l’organiste en 1583, puis celui de Saint-Paul à Londres en 1589.

Il devient Gentleman de la Chapelle Royale en 1992. Il est diplômé ès musique d’Oxford et est l’élève de William Byrd (qui lui enseigne aussi les maths).

Morley s’est marié deux fois et a eu quatre enfants. L'un des derniers faits que l'on connaisse de sa vie est sa démission de la Chapelle royale peu de temps avant sa mort prématurée en 1602.

Il a habité à côté de chez William Shakespeare et l’a sans doute rencontré, plusieurs de ses airs étant chantés dans des pièces de Shakespeare.

Il a publié en 1597 un traité sur la musique anglaise de la Renaissance : A Plaine and Easie Introduction to Practicall Musicke, dédié à William Byrd, mais on lui doit surtout la diffusion en Angleterre du madrigal italien, comme compositeur mais aussi comme éditeur, traducteur, adaptateur et « propagandiste » de la musique italienne.

Son madrigal le plus connu est April is in my mistress' face, publié en 1594, que nous avons eu le plaisir de travailler en petit ensemble.



Le madrigal s'est développé au cours de la Renaissance dès 1520, et au début de la période baroque. C'est essentiellement une forme polyphonique vocale a cappella, bien que le remplacement des voix par des instruments soit toléré. La plupart des madrigaux sont composés sur des poèmes sans refrain, utilisant des procédés de musique descriptive pour en exprimer les sentiments. 
Le centre principal de la production est l'Italie, mais des madrigaux sont également composés vers la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure en France et en Espagne où ils sont plutôt appelés cancion
Le madrigal est issu de formes populaires enrichies par le style du motet où toutes les voix ont une importance égale. C’est avec le lied allemand et la chanson française, l’une des plus importantes formes de musique profane de la Renaissance. Le madrigal achève d'établir le système tonal et les règles de l'accord parfait
Claudio Monteverdi est considéré comme l’acteur principal de la transition entre la musique de la Renaissance et celle du Baroque, en intégrant dans ses madrigaux la basse continue, puis la participation instrumentale.

Mais n'attendons pas davantage pour nous régaler de cet April is in my mistress' face, avec une version vocale, une version instrumentale interprétée par un groupe de clones, et une version purement flûte à bec avec une intro un peu déroutante, qui est je suppose la traduction du texte en japonais. Je ne vous en voudrai pas de préférer la version vocale.








Nous avons aussi joué une autre pièce de Morley, avec l'orchestre entier en première partie du concert : Now is the Month of Maying, qui est presque aussi un madrigal (le plus connu de la Renaissance paraît-il), mais pas tout à fait, ce serait en réalité un ballett, qui est un madrigal sur lequel on dansait.

Une première interprétation avec un instrument à vent de type plus "folklorique" que la flûte à bec, du genre galoubet ou flageolet, je ne sais pas trop, par The Consort of Musicke et les King Singers :




Et pour terminer la version cromorne(s) avec l'inénarrable Eduardo Antonello (attention au mal de mer) :

mercredi 20 juillet 2022

Autour de Purcell #1

En faisant du ménage dans mes articles à peine entamés et jamais terminés, j'en retrouve un qui est tellement avancé que ce serait dommage de s'en débarrasser. Alors évidemment, l’événement date un peu (de toutes façons, que s'est-il réellement passé ces trois dernières années ?), mais la musique qu'on y a jouée n'en est pas beaucoup plus ancienne qu'elle ne l'était en 2019. Voici la chose, que je laisse dans son jus.


Si je tente de rattraper mon retard en respectant l'ordre chronologique, il me faut commencer par le stage de Pentecôte (on a déjà changé trois fois de saison depuis).

Il s'agissait donc d'un stage de musique ancienne organisé à Paris du 8 au 10 juin 2019, réunissant professeurs et élèves de plusieurs instruments : flûte à bec, traverso, clavecin, viole de gambe, harpe baroque et voix. Les professeurs de flûte à bec (instrument le plus représenté) étaient Clémence Grégoire et Nicolas Rosenfeld

Le programme quotidien de ce stage réparti sur trois jours était le suivant :

- Le matin, un cours particulier (ou en ensemble pour certains) avec l'un des deux profs ; le reste de la matinée était à occuper à son gré, le mieux étant de se trouver une salle pour travailler mais ça n'a pas toujours été facile.

- À midi, une conférence les deux premiers jours et un concert entre nous le troisième.

- L'après-midi, répétition d'orchestre en tutti et répétitions d'ensembles, concert public le dernier jour.

Pour la masterclass, j'ai été affectée à Nicolas Rosenfeld. Je devais préparer une ou plusieurs pièces et j'avais donc prévu la Fantaisie n°10 de Telemann, et après un échange d'emails où Nicolas me demandait de prévoir aussi une pièce avec basse continue, j'avais choisi une sonate de Jean-Baptiste Loeillet de Gand, la sonate opus 3 n°9, que j'avais en fait très moyennement travaillée.

Je n'ai pas trouvé d'interprétation de cette sonate, mais en la cherchant je suis tombée par hasard sur celle que j'avais jouée à mon examen de fin de Ier cycle au conservatoire de Perpignan... que de souvenirs ! Je vous la mets pour le fun, et pour écouter Jean-Baptiste :


Mais revenons à nos moutons œillets notre sonate, qui est finalement la seule des deux pièces que nous ayons travaillée en axant le cours sur l'ornementation et plus spécifiquement sur l'ornementation improvisée, ce qui était vraiment très intéressant (c'est de toutes façons toujours enrichissant de changer de prof).

L'ornementation, essentielle en musique baroque, consiste à ajouter à la mélodie qui est écrite des notes qui ne figurent pas sur la partition, destinées à embellir la ligne mélodique de base. On ne peut évidemment pas ajouter n'importe quelles notes, il faut quand même respecter l'harmonie (la tonalité de la pièce et les accords de la ligne de basse) même si l'effet est parfois d'introduire des dissonances passagères (et maîtrisées). Il faut aussi respecter la mesure : si on ajoute des notes, il faut évidemment diminuer la durée de celles qui existent déjà, sinon ça serait le bazar avec les autres voix.
Nicolas Rosenfeld propose d'ailleurs sur sa chaîne ioutioub Les Curiosités Musicales une série de vidéos consacrées à l'ornementation.

Nous avons travaillé deux mouvements de cette sonate, la sarabande (mouvement lent) et la gigue (rapide) (définition de la sonate baroque à relire ici). À l'issue de ces trois cours, nous avions la possibilité de jouer devant nos camarades les pièces travaillées en cours, ce que j'ai trouvé plutôt sympathique, car cela a permis d'entendre ce qui s'était passé en dehors des sessions d'ensemble et de mieux faire connaissance avec chacun, sans jugement puisque les niveaux étaient très disparates. Nicolas m'a accompagnée à la basse et j'ai réussi à caser quelques unes des ornementations que nous avions vues, avec un petit incident sur la gigue : j'avais scotché ensemble les 4 pages de la partition, installées sur deux pupitres, mais ma presbytie m'impose d'être bien en face pour voir net et ça a commencé à se gâter au milieu de la 3ème page. Mes doigts ont continué à jouer des notes faisant illusion jusqu'en haut de la 4ème page, mais là il a quand même fallu que je m'interrompe pour tirer la partition vers moi car je n'étais plus franchement dans l'harmonie !

Le premier midi (samedi), Caroline Lieby nous a fait une démonstration de harpe baroque triple, qui a donc trois rangées de cordes (au lieu d'une pour la harpe classique) et pas de pédale. J'ai vraiment adoré le son de cet instrument, dont la maîtrise n'est vraiment pas à la portée du premier venu (Caroline est d'ailleurs l'une des seules en France à savoir en jouer).

Je vous laisse découvrir le son magnifique de cet instrument :


Et voici une interview où Caroline nous en dit un peu plus :



Le deuxième midi (dimanche), nous avons eu une conférence sur la basse continue, sujet qui mériterait un article à lui tout seul. Pour résumer, à partir de la fin du XVIe siècle et pendant toute la période baroque, les compositeurs écrivaient généralement l'accompagnement de la mélodie sous la forme d'une ligne de basse, qui devait ensuite être "réalisée" par le continuiste (claveciniste, organiste, violiste, ...), c'est à dire en gros qu'il devait choisir des accords sur la base de cette ligne de notes simples, en respectant les règles de l'harmonie. Cela pouvait être préparé, mais aussi souvent improvisé. Cette pratique a disparu après la période baroque, pour donner lieu à une écriture complète de l'accompagnement.

Pour en savoir plus : http://www.helenediot.com/le-blog-du-clavecin/la-basse-continue

Les après-midi étaient consacrés à la musique d'ensemble : orchestre et petits ensembles, mais nous verrons cela dans un prochain article (bientôt ou dans trois ans).

mercredi 13 juillet 2022

Ténor Mollenhauer Canta : essayée et approuvée

Je ne disposais jusqu'à il y a quelques mois en guise de flûte à bec ténor que de la plastique de Yamaha, au son de laquelle je n'avais rien à redire, mais qui n'était pas très adaptée à mes petits doigts : comme elle est un peu lourde, le plastique lisse avait tendance à glisser, et j'avais du mal à manipuler correctement la clé du Fa. Je reculais devant la dépense depuis déjà plusieurs années, mais devant participer à un spectacle associant des extraits de pièces de Molière (pour son 400ème anniversaire) et de la musique de Lully, exclusivement à la ténor, j'y ai vu comme un signe. Je ne me voyais pas du tout jouer tous ces morceaux à la suite avec ma flûte en plastique.

S'est donc posée la question du choix, avec trois critères essentiels : le prix, qui devait rester modeste, la forme que je voulais droite et non coudée (c'est bon pour les basses, ça) et l'absence de clé. Je déteste ces clés qui viennent s'interposer entre mon instrument et moi (bien sûr au-delà d'une certaine taille ça devient difficile de s'en passer, mais pour la ténor, ça va encore). Il me paraissait malheureusement difficile d'essayer plein de flûtes pour une raison que je n'ai sans doute pas besoin d'exposer. Je pense qu'il doit être possible de prendre rendez-vous dans un magasin de musique pour essayer des flûtes qui suivront ensuite un strict protocole de désinfection, mais ne sachant pas combien j'aurais envie d'en essayer, je trouvais ça un peu gênant. De toutes façons l'une des candidates (et future élue, c'est dans le titre) n'était pas disponible à Woodbrass Paris.

J'avais essayé aux ORDA d'Amsterdam une ténor de la gamme Waldorf de Mollenhauer, en poirier, que j'avais beaucoup aimée. Mais elle est vraiment trop moche, je sais que c'est pas bien de s'attacher à l'apparence et que c'est le fond qui compte, mais déjà qu'on a du mal à être pris au sérieux, se produire en concert avec cette pauvre chose était au dessus de mes forces. J'avais essayé aussi la grande sœur de ma soprano, la Kynseker (toujours de chez Mollenhauer), mais je ne l'avais pas du tout aimée alors que la petite me donne toute satisfaction. Tant mieux d'ailleurs, elle était hors budget. Les deux specimens en short list étaient donc la Mollenhauer Canta, en poirier aussi, et la Moeck Rondo, en érable, toutes les deux dans la même gamme de prix. Comme j'ai tendance à préférer le bois fruitier et que j'ai un petit préjugé en faveur de Mollenhauer, j'ai commandé chez Thomann (je préfère commander en France si je peux mais elle était aussi indisponible sur le site de Woodbrass) la Canta pour la modique somme de 325€ (elle est montée à 345€ depuis). J'avais une petite crainte concernant la possibilité d'accéder aux trous du Fa sans clé, mais on peut toujours renvoyer un instrument s'il ne convient pas.

Après sept mois d'utilisation incluant le concert pré-cité et sa préparation, je ne regrette absolument pas ce choix. Elle me convient à tous les points de vue : le son est vraiment bon, les notes aiguës sortent sans forcer, les graves sont faciles aussi, elle est super agréable en main. Elle est aussi lourde que la Yamaha plastique et les trous sont globalement positionnés de la même façon, mais il m'est pourtant plus facile d'accéder au Fa. Elle convient très bien à la musique baroque mais je l'ai aussi utilisée en quatuor (deux flûtes à bec, deux violoncelles) sur des danses Renaissance et c'était très bien aussi. Elle a d'ailleurs un look plutôt passe-partout. En résumé : excellent rapport qualité/prix (je ne suis pas sponsorisée par Mollenhauer ni par personne d'autre).


src: wikipédia
Comme on ne va quand même pas se quitter sans musique, voici un échantillon des pièces jouées lors du spectacle Molière / Lully. Elles étaient presque toutes issues de la musique du Bourgeois Gentilhomme sauf la Passacaille d'Armide (qui est trop belle). On était trois flûtistes à bec (soprano/alto, ténor et basse) et pour une fois il n'y avait pas des tonnes de cordes pour nous écraser et on nous entendait bien. Ce ne sera pas le cas dans les vidéos ci-dessous mais c'est beau quand même.


Le Bourgeois Gentilhomme (1670), fruit de la collaboration entre Molière et Lully, est une comédie-ballet, œuvre qui mêle théâtre, musique et danse. La musique est intégrée à l’intrigue théâtrale. Dans cette pièce bien connue, Molière se moque de la prétention et de la bêtise du bourgeois, Monsieur Jourdain,  ridicule à force de vouloir copier les « gens de qualité ». Cléonte, qui veut épouser sa fille, se déguise et se présente comme le fils du Grand Turc. La Marche pour la Cérémonie des Turcs accompagne le couronnement du Bourgeois en Mamamouchi, titre de noblesse qui le flatte mais n'est qu'une farce où les complices de Cléonte sont grimés et parlent une langue inventée. On a vraiment l'impression d'être à Versailles à l'écoute de cette pièce (c'est d'ailleurs aussi l'avis de mes collègues de travail à chaque fois que mon téléphone sonne).

(Dites-moi si je me trompe, mais ne serait-ce point Sébastien Marcq à la sopranino ?)
(C'est Emmanuelle Haïm qui dirige, je suppose donc que l'ensemble est le Concert d'Astrée)


Écoutons ensuite la Chaconne des Scaramouches. La chaconne est issue d'une danse populaire au XVIe siècle (espagnole ? portugaise ?), à trois temps, plutôt animée. Elle devient à l'époque baroque une danse de cour au tempo plutôt lent, sur une basse obstinée



Pour finir, la seule pièce qui ne soit pas extraite du Bourgeois Gentilhomme, mais de la tragédie en musique Armide de Lully : sa très connue Passacaille. La passacaille est aussi une danse lente à trois temps sur une basse obstinée,  issue d'une danse originaire d'Inde importée à la Renaissance par les marins. Elle finit au fil du temps par se confondre avec la chaconne. Lors du concert, un petit passage était joué uniquement par les trois flûtes à bec, comme dans la vidéo (à 1:05). L'ensemble est La Petite Bande, mais je n'ai pas réussi à savoir qui est le flûtiste à bec.

dimanche 3 juillet 2022

L'estampie

Ça fait pas mal de temps que je voulais vous parler de cette forme musicale médiévale, et l'occasion s'en présente justement car je viens d'en récupérer une comme devoir de vacances.

src: moyenagepassion.com
L’estampie, qui est donc une danse populaire au Moyen-Âge, remonte sans doute à la fin du XIIe siècle. Elle serait apparue d’abord en France. Son étymologie pourrait venir du germanique stampian ou stampen (frapper du pied) et/ou du provençal stampir (battre du pied). Elle était effectivement accompagnée de battements de pieds et de mains, qui aidaient à lui conférer ce rythme enlevé qu’on lui connaît. 

L’estampie a une structure particulière et reconnaissable : elle est composée de plusieurs phrases ou puncti qui se jouent chacune deux fois. La première fois se termine par une formule « ouverte », appelant donc une suite, et la seconde par une formule « fermée », conclusive. 

Sur la musique préexistante d’une estampie pouvaient ensuite être écrites des paroles. C’est par exemple le cas de la plus ancienne estampie connue, Kalenda Maya (les calendes de mai), dont le texte aurait été improvisé par le troubadour Raimbaut de Vaqueiras (1150-1207) après avoir entendu une estampie instrumentale interprétée par deux jongleurs s’accompagnant d’une vièle.

En voici justement une version chantée (on s'accroche) :

Ni les calendes de Mai ni les feuilles de hêtre, 
Ni les chants d’oiseaux, ou les glaïeuls fleuris
Ne sont de mon goût,
Ô noble et joyeuse dame,
Jusqu’à ce qu’un messager de la flotte
envoyé par votre belle personne
vienne me conter de nouveaux plaisirs
d’amour et de joie que vous m’apportez


L’estampie sur laquelle je viens de commencer à suer sang et eau (eh non, aucun répit, à peine l'épreuve terminée que je m'y remets déjà avec acharnement) (bon j'exagère un peu, c'est pas si terrible)  n'est pas Kalenda Maya, mais Tre Fontane. Elle a pour particularité d'être très très très très longue avec des phrases interminables. Il faudra donc la jouer vite :-D

J'en ai trouvé une interprétation par la talentueuse Hanneke van Proosdij qui délaisse enfin le positif et le clavecin pour notre plus grand plaisir (j'aimerais bien aussi être accompagnée par son percussionniste) :



Mais... mais... je me rends compte que cette coquine n'a pas joué la quatrième partie (c'est la plus difficile) ! Pour la peine, je vous mets celle de Pierre Hamon et l'ensemble Alla Francesca. Elle est très bien aussi (forcément).

vendredi 1 juillet 2022

Fin de 2ème cycle : mon programme

Puisque de toutes façons je n'ai pas encore réussi à me débarrasser de toute cette musique jouée depuis des semaines qui me trotte encore nuit et jour dans la tête, autant vous en faire profiter, c'est toujours l'occasion d'écouter des jolies choses (jouées par d'autres, donc) (de toutes façons le préposé familial à l'enregistrement de ma prestation a oublié de sortir son téléphone, captivé sans doute qu'il était par l'ambiance de malade qui régnait sur scène et dans la salle).

Mon programme de fin de 2ème cycle était donc le suivant :

Pour me chauffer les doigts, j'ai commencé par le fameux morceau dit "en autonomie", c'est à dire donné une semaine avant l'examen (en réalité dix jours), à préparer tout seul avec soi-même sans aucune aide ni intervention du professeur. Comme il s'agit d'une pièce baroque italienne anonyme, je n'ai bien sûr pas non plus pu l'écouter (mais ç'aurait été de la triche) ni ne peux vous la faire écouter. J'avais zappé la seule indication donnée par ma prof : il s'agissait d'une pièce italienne, et du coup je l'ai traitée comme de la musique française ou allemande en inégalisant fortement les croches (le jury - bien qu'ayant apprécié ce choix - m'a quand même fait remarquer qu'à force ça finissait par ressembler à une java) et en ornementant les reprises dans la même veine.

J'ai poursuivi par le morceau imposé aux deux candidats de ce niveau : deux mouvements d'une sonate baroque à l'alto : Vivace et Fugue de la sonate n°VI d'Il Pastor Fido de Nicolas Chédeville. Il Pastor Fido est un recueil de six sonates pour flûte à bec et basse continue publié en 1737, longtemps attribué à Vivaldi, possiblement de la volonté même de Nicolas pour une raison obscure.

Nicolas Chédeville (1705-1782) dit "le Cadet" est un compositeur, hautboïste, musettiste (ça se dit ?) et éditeur français, dont les deux frères, Pierre et Esprit-Philippe, sont aussi des musiciens connus. Les Chédeville sont reliés à l'illustre famille Hotteterre, célèbre dynastie de musiciens, facteurs d'instruments et interprètes qui sont à l'origine de la grande tradition des bois en France.

À la mort de son oncle Louis Hotteterre  en 1732, Nicolas lui succède à l’orchestre royal de l’Opéra et au sein des Grands Hautbois de l'Écurie, jusqu'en 1748. Il se marie à 70 ans avec la fille de son valet, connaît des difficultés financières, se sépare de sa femme et reprend en 1777 la charge de musicien auprès des Grands Hautbois. Il meurt cinq ans plus tard. 
Outre le hautbois, Nicolas aimait aussi beaucoup la musette et la vielle à roue, assez populaires dans les années 1720, et même la flûte à bec !

Je vous fais écouter la version de ce cher Frans Brüggen qui est finalement ma préférée. N'hésitez pas à aller écouter les deux autres mouvements, ils sont très bien aussi !




J'ai poursuivi par un set de 3 pièces irlandaises du XVIIIème siècle, anonymes, tirées du recueil High Road to Kilkenny des Musiciens de Saint-Julien, à la soprano, choisis par moi-même. Je vous ai déjà parlé ici de ce recueil et du cédé associé. Sur le cédé et la partition il y a en réalité 4 pièces mais je n'ai pas joué la dernière, et j'ai fait une sorte de petit parcours personnalisé entre les 3 premières (High Road to Kilkenny, Toss the Feathers et The Mill Stream). Du coup je me suis pas mal éloignée de la version des MSJ, dont vous pourrez vous régaler ci-dessous :



Ma prestation individuelle étant terminée, j'ai pu aller m'affaler dans les gradins en tentant de ralentir mon rythme cardiaque, mais il me restait quand même encore deux prestations collectives à assurer.

La pièce d'ensemble, car il en faut une, rassemblait les deux prétendants au 3ème cycle de flûte à bec et l'une de leurs deux homologues clavecinistes : la Treccia de Tarquinio Merula, avec deux sopranos et un clavecin, donc. Après une seule répétition à trois, on ne s'attendait pas à des miracles surtout que la mise en place était assez délicate avec les deux voix de flûte qui se répondent tout le temps. Le résultat fût à la hauteur de nos non-espérances...

Tarquinio Merula (1595-1665) est un compositeur, violoniste et organiste italien qui a principalement exercé comme maître de chapelle et organiste dans diverses villes d'Italie et quelques années en Pologne. Sa carrière est émaillée de conflits avec ses différents employeurs. 

Il a joué en ce début de période baroque un rôle important pour le développement de certaines formes musicales (cantate, aria, sonates da chiesa et da camera, variations sur une basse obstinée...). Il a écrit de nombreuses canzone (composition polyphonique avec une entrée décalée des voix en imitation), dont cette Treccia


Je jouais la deuxième voix de flûte, comme Julia Andres (enfin pas exactement comme elle malheureusement, je veux dire que moi aussi je jouais la 2ème voix) sur la vidéo que voici :



Après toutes ces réjouissances, j'ai enfin pu me détendre un peu sur scène en accompagnant à la soprano la seconde claveciniste sur son épreuve de continuo avec un extrait de Didon et Énée de Purcell, que je connaissais presque par cœur pour l'avoir joué en concert cette année, et sur un tempo quasiment divisé par deux. Rien que pour vous, une petite version sans flûte à bec (Hanneke nous est encore infidèle, mais je vous posterai très bientôt une de ses prestations à la flûte à bec) :


J'ai fait promettre à Sabrina, ma prof dévouée, de me rappeler de lui dire non quand elle me proposera de passer l'examen de fin de 3ème cycle. M'enfin bon, je me connais.

Flûte à bec : l'autre blog !

En faisant par curiosité une ènième recherche de type "blog flûte à bec" sur gougueule, je tombe sur le magnifique blog suisse de Mélanie Balmer (très belles photos de notre instrument bien-aimé), qui me semble malheureusement un peu en stand-by avec trois articles postés en début d'année et rien depuis. On attend la suite avec impatience.

À voir ici : Passion flûte à bec