vendredi 29 juin 2018

Un brin de fantaisie...

En guise de petit clin d’œil à l'une de mes fidèles lectrices qui se reconnaîtra, je vais aujourd'hui m'intéresser aux Fantaisies de Monsieur Georg Philipp Telemann.

Telemann est l'un des plus célèbres compositeurs allemands de la période baroque. Il n'appartient pas à une famille de musiciens, mais commence à composer ses premiers morceaux dès l'âge de dix ans, souvent en secret et sur des instruments prêtés. À part un enseignement de clavecin de deux semaines, Telemann n'a jamais pris de cours de musique. Ses parents, surtout sa maman, n'étaient pas tellement d'accord pour ce genre de boulot qui à l'époque n'était pas très prestigieux. Maman Telemann va même jusqu'à lui confisquer ses instruments, ce qui ne décourage absolument pas ce petit coquin, qui apprend seul à jouer de divers instruments comme le violon, la flûte, la cithare, le clavecin, la flûte à bec, l'orgue, la viole de gambe, la flûte traversière, l'harmonica, le hautbois, le chalumeau, la contrebasse et le trombone (un intrus s'est sournoisement glissé dans cette liste, saurez-vous le retrouver ?).

Je passe pour le moment sur la suite de sa talentueuse carrière sinon on n'est pas couchés, en tous cas Telemann a réussi à vivre confortablement de son métier de musicien, contrairement à ce que lui avait prédit sa maman. Par exemple, il gagnait trois fois le salaire de Bach (Jean-Seb), qui avait été recruté comme maître de chant par la ville de Leipzig comme second choix suite au refus de Georg Philipp.


La Fantaisie

C'est une composition musicale instrumentale de forme très libre, dans laquelle l'imagination du compositeur prend le pas sur les règles d'une forme musicale donnée.

Le mot est apparu au milieu du XVIe siècle pour désigner un morceau virtuose utilisé en guise de prélude et improvisé, ou une pièce proche du ricercare. À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, le terme désignait de nombreuses petites pièces pour clavier et de musique de chambre, nées en Italie puis propagées en Europe. En Angleterre, il a été associé à la musique destinée aux consorts (ensembles) de violes de gambe de compositeurs comme Byrd et Purcell, sous le nom de Fancy. Pendant les périodes baroque et classique, ce terme a souvent été appliqué à des préludes de style entièrement libre, puis a peu à peu disparu au cours du XIXe siècle. Néanmoins, certaines œuvres importantes intitulées Fantaisies ont été composées à cette époque, tirées de mélodies populaires ou d'œuvres d'autres compositeurs (eh eh, vous avez vu, je n'ai pas introduit de fantaisie dans ce paragraphe sur la Fantaisie).

Telemann a composé ces 12 Fantaisies pour la flûte traversière. Celles que l'on joue à la flûte à bec ne le sont donc pas dans leur tonalité d'origine. Il a aussi composé des fantaisies pour le violon, pour le clavecin et pour la viole de gambe (perdues).

Je n'ai pour ma part jamais joué de Fantaisie, bien que fortuitement propriétaire du recueil de partitions des 12 fantaisies pour flûte à bec alto transcrites par Jean-Claude Veilhan (la découverte de la musique est très fortuite chez moi). Comme j'en discutais ces jours-ci avec la fidèle lectrice sus-citée, je les trouve agressives dans les aigus et ce n'est pas une musique qui me parle. Mais peut-être qu'en les jouant, et en les découvrant ainsi de l'intérieur, je parviendrais à les apprivoiser. Ça vaudrait le coup d'essayer en tous cas (cet été ?), d'autant qu'il n'y a pas tant que ça de musique pour flûte à bec solo datant de cette époque à notre disposition.

Les 12 fantaisies pour flûte de Telemann sont donc chacune écrite dans une tonalité différente, et sont composées de plusieurs mouvements, comme des sonates.  Écoutons par exemple les trois mouvements de la Fantaisie n°10 en La mineur, magistralement interprétée par Frans Brüggen.

A tempo giusto


Presto


Moderato




Frans Brüggen

Ce virtuose néerlandais né en 1934 est à l'origine, au début des années 1960, de la redécouverte de la flûte à bec comme instrument à part entière et pas seulement comme un moyen pédagogique pour aborder la musique à l'école, comme c'était le cas depuis qu'elle était ressortie de l'oubli quasi total dans lequel elle était restée pendant plus d'un siècle (ce qui nous permet fort opportunément d'échapper au répertoire romantique). Frans Brüggen considère la flûte à bec comme l'instrument d'interprétation privilégié de la musique de la Renaissance et de la période baroque. Sur le cédé dont sont extraits les extraits ci-dessus (comment ça, mon style laisse à désirer ?), il utilise des reproductions de flûtes à bec de différents facteurs célèbres des XVIIe et XVIIIe siècles.

Voici pour la même Fantaisie un jeu très différent de celui de Brüggen par un flûtiste à bec sud-africain que je ne connaissais pas, Stefan Temmingh. Je suis très agréablement surprise, en particulier par ses aigus que je trouve du coup magnifiques 😍



Écoutons maintenant la Fantaisie n°9, cette fois à la flûte traversière en Mi majeur (elle est en Sol majeur à la flûte à bec) : Affetuoso, Allegro, Grave et Vivace.



Encore une Fantaisie n°9 de Telemann, mais cette fois pour le violon (ce n'est donc pas la même que la précédente). L'interprète - au violon baroque - est Rachel Podger, une violoniste dont je trouve le jeu brillantissime.



D'autres compositeurs de différentes époques se sont livrés à l'exercice de la Fantaisie, comme par exemple Franz Lizst avec sa Fantaisie sur des airs populaires hongrois, mais ne comptez pas sur moi pour vous la faire écouter (à quelques exceptions près, j'ai comme un blocage après Jean-Sébastien). Voici par contre pour finir cet article en beauté et en délicatesse, la Fantaisie en Do mineur pour luth de Silvius Leopold Weiss, luthiste, théorbiste et compositeur allemand né en 1687 et mort en 1750 (ouf on est pile dans les clous).

mercredi 27 juin 2018

El Llibre Vermell de Montserrat

Alors j'ai plein d'idées d'articles en stock, mais curieusement celle-là n'en faisait pas partie. 

Silke Gwendolyn Schulze
J'allais vous parler d'une flûtiste à bec allemande (ou suisse) (ou suisse-allemande, en fait je n'ai pas très bien compris) que j'ai récemment découverte grâce à l'acquisition fortuite de son cédé "The Medieval Piper" (oui, il m'arrive d'acquérir fortuitement des cédés en allant chez un marchand parisien bien connu qui vend du neuf et de l'occasion, et chez qui j'inspecte régulièrement le bac "musique ancienne d'occasion", ce qui permet de belles découvertes grâce à un prix modique) : Silke Gwendolyn Schulze, et j'ai plutôt eu envie d'un article sur le Livre Vermeil de Montserrat, ce qui n'est pas complètement incohérent puisque la dame en question interprète certaines pièces des Cantigas de Santa Maria, qui présentent des points communs avec le Llibre Vermell et qui feront sans doute l'objet d'un autre article.

J'ai découvert le Llibre Vermell à mes débuts de flûtiste, avec une petite pièce jouée à deux flûtes altos avec ma voisine : Stella Splendens. J'ai par la suite eu à plusieurs reprises l'occasion de jouer d'autres pièces de ce recueil, qui sont des incontournables du répertoire médiéval qui subsiste à ce jour.


Le Livre Vermeil de Montserrat est un recueil de manuscrits datant du XIVe siècle, retrouvé au Monastère de l'Abbaye Santa Maria de Montserrat en Catalogne espagnole. Entre autres documents (une partie a été détruite lors d'un incendie), il contient dix chants écrits en latin ou en catalan avec leur notation. Ces chants traditionnels remonteraient au XIe-XIIe siècles.

Le monastère était un lieu de pèlerinage au sanctuaire de la Vierge de Montserrat, et ces chants étaient proposés aux pélerins pour qu'ils puissent veiller en chantant et en dansant sans pour autant tomber dans le répertoire profane.

En recherchant une version flûte à bec de Stella Splendens, je découvre avec plaisir cet ensemble allemand de musique trad : Short Tailed Snails (les escargots à queue courte !) :

Cette musique basée sur des mélodies simples convient très bien à la flûte à bec. Écoutons maintenant un canon "double" composé de deux mélodies : Laudemus virginem et Splendens Ceptigera (que j'avais eu le bonheur de jouer à Perpignan lors d'un concert "Musica Mesclada", mélange de musiques médiévales et traditionnelles catalanes).


Impossible de remettre la main sur mon cédé de l'ensemble Obsidienne dont j'aurais aimé vous mettre quelques extraits. Si je le retrouve, ce que j'espère, je ferai quelques ajouts.

La flûte à bec n'intervient pas sur ce Mariam Matrem Virginem d'Hespérion XXI, mais il est vraiment splendide :



Pour finir, je viens de tomber par hasard sur une petite merveille, Le Livre Vermeil de Montserrat par Les Musiciens de Saint-Julien, concert donné à la cathédrale d'Elne en Roussillon le 19 juillet 2013. Quand je pense qu'en 2013, je connaissais et les Musiciens de Saint-Julien et le Livre Vermeil, que j'habitais à quelques kilomètres d'Elne et que je n'ai point eu vent de ce concert... j'en suis rétrospectivement fort dépitée 😐

dimanche 17 juin 2018

La musique de Barbe-Bleue (2)

Foin de conjectures à présent, intéressons-nous à la musique composée de façon certaine par Henry VIII

Henry a vécu entre la fin du XVe et le début du XVIe siècles, c'est à dire à cheval (au sens propre aussi, d'ailleurs) entre le Moyen-Âge et la Renaissance, et donc entre idéaux de chevalerie et d'humanisme, la musique étant un lien parfait entre les deux, de l'amour courtois aux humanités.

Peu après sa mort, vers le milieu du XVIe siècle, la majeure partie des partitions de la musique instrumentale anglaise, conservée dans des manuscrits collectifs avec la musique vocale catholique désormais interdite, fut détruite. Il ne nous en reste donc que très peu, mais en particulier le "Manuscrit d'Henry VIII", conservé à la British Library de Londres, ainsi que l'inventaire de son immense collection d'instruments (76 flûtes à bec !). On y trouve 33 des 34 œuvres attribuées à Henry VIII, ainsi que des pièces anonymes ou de compositeurs hollandais, français et anglais.

Fervent musicien lui-même dans ses années de jeunesse, Henry eut par la suite pas mal de soucis à gérer du fait de son job, mais il conserva cependant toujours son intérêt pour la musique et en particulier pour la flûte à bec.

Imaginons-nous pour un instant à la cour d'Henry en oyant ces quelques courtes pièces à l'ambiance très évocatrice.

Consort XIII


If love now reynyd :


Ces enregistrements ainsi que le suivant sont extraits du cédé "Pastyme with Good Companye, Music at the court of Henry VIII" de l'ensemble Dreiklang Berlin, qui fait partie de mes cédés préférés.

Pour finir, un autre tube, paroles et musique d'Henry, composé peu après son couronnement : "Pastyme with Good Companye", ou "The King's Ballad", revisité jusqu'à nos jours bien que dans une moindre mesure que Greensleeves, et qui donne son nom au cédé.



Une version vocale :


Pour passer le temps,
Chasser, chanter, danser ;
Mon cœur est ouvert ,
Pour mon agrément,
Aux meilleurs divertissements ;
Qui me l’autorisera ?

La jeunesse doit quelque peu badiner,
Avoir du bien et du mal de l’expérience ;
Rien de meilleur dès lors que la compagnie,
Pour dissiper toute pensée, toute fantaisie,
Car la paresse de tout vice
Est la mère
Qui peut donc prétendre
Que rire et plaisir
Valent plus que tout ?

La compagnie en toute honnêteté est vertu,
Tout vice appellera refus ;
La compagnie est bonne et mauvaise chose à la fois,
Mais tout homme en a le libre choix,
Poursuivre le meilleur,
Fuir le pire,
Tel sera mon dessein ;
Cultiver la vertu,
Refuser le vice,
Ainsi me comporterai-je.

Et enfin une version (presque) contemporaine (contemporaine de Léone, en tous cas), celle de Jethro Tull, groupe de rock des années 60, qui sonne un peu folk et qui est je trouve, une belle réinterprétation :


samedi 9 juin 2018

Chut la flûte...

Quand on a une vie professionnelle et familiale déjà bien remplie, il est parfois difficile de travailler son instrument dans des créneaux horaires où ça ne dérange pas les voisins, ni sa propre famille d'ailleurs. Tout le monde ne dispose pas d'un salon de musique parfaitement isolé, ni d'un cabanon au fond du jardin, voire d'un souterrain. 
Je ne dis pas ça par hasard : lorsque que je m'étais mise - brièvement - au hautbois, j'habitais un mas à flanc de coteau muni d'un bout de souterrain muré et j'allais y jouer pour éviter de faire hurler à la mort mon chien et celui des voisins. J'ai quand même moins de problèmes avec la flûte à bec, en tous cas concernant le chien (tout au moins jusqu'au mi aigu - pour le fa et le sol aigus, c'est une autre affaire mais ça ne va pas jusqu'au hurlement, à peine un regard en coin réprobateur).

Donc, si comme de nombreux flûtistes à bec, vous disposez d'un logement avec des gens dedans, au-dessus, en dessous ou à côté, vous risquez parfois de passer une semaine entière sans pouvoir travailler vos morceaux et là, arrivé le jour de votre cours, c'est la cata.

Il y a bien sûr la possibilité de jouer en muet pour s'exercer les doigts : on pose la flûte au bord des lèvres (pour la tenir), mais on ne souffle pas. C'est très utile, mais trop restrictif par rapport au jeu réel. Il y a une meilleure solution : le petit bout de papier.


On découpe un petit morceau de papier de la largeur du biseau et on l'introduit dedans. Une simple épaisseur suffit, et d'ailleurs c'est mieux car ça ne bloque pas complètement le souffle (sinon on s'étouffe), seulement le son mais on arrive encore à distinguer les notes - ce qui est encore mieux que de jouer en muet. On peut jouer presque normalement, évidemment sans travailler le son mais pour ça, il aurait fallu s'y prendre avant 22 heures.

La musique de Barbe-Bleue (1)

Après les Folies d'Espagne que nous avons assez entendues, intéressons-nous aujourd'hui à un autre tube intemporel : Greensleeves.
Rafraîchissons-nous tout d'abord un peu la mémoire grâce à l'interprétation que nous en fait l'ensemble Dreiklang Berlin :


Henri VIII jeune
La paternité de ce thème archi-connu est attribuée de façon incertaine à un personnage assez... paradoxal : Henry VIII d'Angleterre, le roi aux six femmes dont deux ont été décapitées sur son ordre (Anne Boleyn et Catherine Howard), deux ont été répudiées (Catherine d'Aragon et Anne de Clèves) et deux sont mortes en couches (Jeanne Seymour et Catherine Parr, mais pour cette dernière il n'y est probablement pour rien, étant déjà mort lui-même depuis un an).
C'est Henry VIII (1491 - 1547) qui aurait inspiré le personnage de Barbe-Bleue à Charles Perrault.

Notre ami, cruel et jaloux, avait donc une fâcheuse tendance à faire décapiter les gens, mais il avait néanmoins des aspects plus sympathiques. N'étant pas au départ censé régner car il avait un frère aîné (Arthur, mais il est mort), il était destiné à l'Église (catholique, à l'époque - ce n'est que plus tard que Henry fera basculer l'Angleterre vers l'anglicanisme, c'est la faute au pape qui lui a refusé le divorce avec Catherine d'Aragon) et c'est pourquoi il reçut une éducation musicale.

Anne Boleyn
Lorsqu'il monta sur le trône en 1509, la musique prit une place très importante à la cour. Vers 1547, Henry VIII y avait rassemblé environ cinquante-huit musiciens.  Il éprouvait lui-même beaucoup de plaisir à chanter et à jouer de la musique, il jouait de l'orgue, du luth et de l'épinette (comme quoi, personne n'est complètement mauvais). Trente-quatre de ses compositions sont parvenues jusqu'à nous.
C'est donc peut-être lui qui aurait composé Greensleeves en l'honneur d'Anne Boleyn (qui serait donc cette "Dame aux manches vertes" ?), mais on n'en a pas la preuve.


Écoutons une autre version, à la flûte à bec toujours, mais très différente de la précédente (dans un style moins Renaissance). L'interprète ne nous est pas inconnu puisqu'il s'agit de Hans-Martin Linde.



Retrouvons Jordi Savall à la viole de gambe, avec un ground (= basse obstinée ou ostinato)  au théorbe :


Il y a des tonnes de versions instrumentales et également vocales, comme celles de Marianne Faithfull, Loreena Mc Kennitt, Alfred Deller, ou Patricia Petibon.

Pour en finir avec Greensleeves (on pourrait y passer des heures), j'ajouterai que ce thème a été mis à pas mal de sauces et utilisé par pas mal de monde, en particulier... l'aviez-vous reconnu ?


Notre bon roi Henry a aussi composé (de façon certaine cette fois) d'autres jolies musiques, dont je vous parlerai dans un prochain épisode.

(pour les paroles de Greensleeves, c'est - entre autres - ici)

vendredi 8 juin 2018

Mon séchoir à flûtes

Comme tous les musiciens à vent, le flûtiste à bec bave dans son instrument. Le problème, c'est que dans une flûte à bec ça ne coule pas (ce qui évite de marcher dans les flaques en quittant l'orchestre comme avec les cuivres), ça pénètre le bois qu'il faut donc faire sécher car sinon il s'abîme et peut même moisir (j'ai testé pour vous). Il faut donc après usage essuyer scrupuleusement l'intérieur de la chose, mais ça ne suffit pas : il faut finir de faire sécher à l'air avant de ranger.

Support pliable Boudreau

Il est assez facile de fabriquer soi-même un support en bois, et il en existe même des tout faits dans le commerce, parfois même pliables pour le transport (ça peut être pratique en concert si on utilise plusieurs flûtes), par contre ce n'est pas donné.



J'utilise pour ma part un sèche-biberons trouvé il y a des années sur un vide-grenier pour même pas un euro. Il est moche, mais j'évite juste de le mettre en exposition dans mon salon.


En plus de ne pas m'avoir coûté cher, il est démontable et on peut changer les tiges de place, voire même en rajouter si ça ne suffit pas (j'utilise des baguettes chinoises, ça rentre pile dans les trous).

Par contre ça va bien pour les tailles soprano-alto, mais le jour où je ferai l'acquisition d'une ténor et/ou d'une basse en bois, il faudra que j'upgrade mon équipement 😉